lundi 20 octobre 2008

Tutorat et lien social dans un dispositif de formation hybride [2/2] par Catherine Roupié


La formation hybride mettant en œuvre une combinaison de modalités pédagogiques modifie l’attractivité des offres de formation et change les postures des apprenants et des formateurs conséquence de la dissociation des unités de temps et de lieux qui lui incombent.

A travers deux billets, et sur la base d’un audit de la formation hybride, nous souhaitons comprendre la construction du lien social dans un dispositif de formation hybride ; se pose également la question de la fonction tutorale.


Le premier billet a permis de présenter le contexte de notre réflexion. Ce second billet a pour objet de rendre compte des résultats obtenus et d’esquisser une série de recommandations destinées à améliorer le dispositif pour développer et structurer le lien social.


En préambule, il est important de préciser que la taille réduite de la population interrogée (1) ne peut conduire à tirer des enseignements absolus de ce travail mais les éléments de réponses obtenus permettront de mettre en place un modèle qui réponde aux attentes des acteurs et qui soit transposable.

Tout d’abord, le premier apport de cette étude montre l’importance du tuteur souligné comme pierre angulaire dans ce type de dispositif et facteur de réussite des apprentissages.

Les résultats obtenus mettent en avant l’absence de lien entre formateurs et un lien à peine plus visible entre pairs apprenants et entre formateurs et apprenants. Tous sont pourtant désireux d’établir ce lien qu’il soit horizontal (entre pairs formateurs et pairs apprenants) ou bien vertical (formateur-apprenant).

En mettant en place des fonctions tutorales, les acteurs trouveraient alors une réponse à la question de l’isolement et du manque d’interactivité qui entravent la construction d’un lien social.


Ce souhait d’être accompagné pour être soustrait à l’isolement (soutien moral) vise également à favoriser les échanges et les interactions peu présents malgré les outils de communication mis à disposition. Ce sentiment de manque de feed-back est partagé par les formateurs. En conséquence, les apprenants souhaitent que le formateur ait un rôle de tuteur au niveau pédagogique mais aussi social et motivationnel, fonctions qui correspondent à la représentation qu’ont les formateurs de la fonction tutorale (accompagnateur méthodologique, animateur et expert contenu).

En adoptant un rôle d’accompagnateur, les formateurs peuvent activer des formes et des types de médiations humaines, synchrones ou asynchrones, avec une ou plusieurs personnes. Ce besoin de présence physique en un même temps et un même lieu ne doit pas pour autant faire disparaître les séances de regroupements. Enseigner, c’est aussi créer et maintenir un lien entre les apprenants, lien social qui participe à la motivation par un sentiment d’appartenance à un groupe.


Dans l’organisation actuelle du dispositif, les séminaires présentiels sont plébiscités. Ils sont un moyen d’apporter des ajustements aux difficultés (isolement, interactions peu développées). Ils permettent également de remotiver et de repréciser des points qui semblent difficiles à acquérir. L’émulation de groupe y est favorisée tout comme les échanges, la confrontation d’expérience, des savoirs. Ils sont un moyen d’appartenir à une communauté d’apprenants.

Si les apprenants souhaitent davantage de regroupements, les formateurs quant à eux voudraient introduire des séances de visio conférences toujours dans le but d’encourager les échanges et de créer un lien entre protagonistes.


Un autre aspect de la question est la constitution spontanée d’une communauté, d’un groupe d’apprenants. Ceux-ci communiquent à l’aide d’outils utilisés dans leur quotidien (téléphone, mail personnel dits outils de communication informels – ou privés- car non contrôlés par l’institution) et créent ainsi du lien social à connotation privée et/ou professionnelle. Selon les acteurs, les outils disponibles offrent peu de moyens d’interaction à l’exception soulignée du chat utilisé lors du cours diffusé sur Internet par les apprenants qui assistent au cours à distance en direct. Toutefois, l’utilisation spontanée du chat entre apprenants est rare ; elle est davantage suscitée par le formateur. Ces initiatives de communication, prises par les apprenants pour échanger et travailler entre pairs à l’aide de leurs outils de communication habituels, ne sont ni connues ni contrôlées par l’institution ; elles semblent fonctionner et compensent le manque de contact perçu et elles témoignent de ce besoin d’interaction, de lien.

La nature des liens reste inconnue à l’issue de cette étude car l’analyse des échanges n’a pas été entreprise essentiellement pour des questions de temps. Toutefois, aux dires de formateurs, les interactions seraient centrées sur l’échange d’informations (échanges verticaux, lien social faible selon la terminologie employée par CUISSI, 2007).


Maintenir des temps de regroupement apparaît comme un bon moyen de créer et d’appartenir à une communauté d’apprenants ; l’existence du groupe est sécurisante sur le plan affectif pour l’apprenant. La présence, très ancrée dans ce dispositif, est à maintenir et à développer sous une autre forme et notamment celle du tutorat.
La distance implique la présence.

Le second apport de cette étude est celui de l’importance de l’apprentissage entre pairs.

Bien que les informations recueillies soient ambivalentes sur la question, les apprenants souhaitent plus d’encadrement des activités distantes qu’ils envisagent sous forme de travail individuel plutôt que collectif malgré leur sentiment d’isolement fortement mis en avant.

La mise en place d’un travail collaboratif soulignerait toutefois le caractère professionnalisant de la formation et viendrait en support des groupes constitués en les amenant à composer une communauté d’apprentissage.
Au cœur de cet apprentissage collaboratif se développeraient des compétences transversales liées à la communication et à la collaboration à distance qui s’associeraient à celles déjà acquises de l’autonomie accordée et obtenue par la souplesse du dispositif.

Le sentiment d’isolement perçu par le public apprenant s’en trouverait affaibli et les interactions seraient favorisées.


Par conséquent des relations naîtraient et un sentiment d’appartenance se développerait, le tout menant à la création de liens sociaux. Cette communauté serait régulée par le formateur-tuteur qui en créant une activité pédagogique (apprentissage par projet par exemple) susciterait des actions et des interactions pour parvenir à un résultat.

En cas de difficulté à travailler en groupe, le rôle du tuteur serait bien évidemment de gérer les aspects relationnels mais aussi d’aider au travail de groupe ; il interviendrait en qualité de médiateur et il apporterait un soutien lors des différentes phases de travail ; il gérerait les aspects relationnels pour faire vivre le groupe à distance et l’amener à résoudre la tâche confiée. Le travail de groupe permettrait ainsi d’apprendre à partager et à collaborer en accordant à l’apprenant un rôle actif dans la formation au lieu d’une logique de réception passive.

La conception et l’animation des activités distantes sont peu présentes chez les formateurs car elles restent encore éloignées de leurs pratiques habituelles. Il s’agit essentiellement de formateurs occasionnels issus du monde socio-économique peu habitués à ce type d’enseignement et de pédagogie. En effet, ils n’ont vécu et pratiqué, majoritairement, que la pédagogie dite transmissive appliquée lors de leur formation initiale et ils ont peu de temps à investir dans la réflexion pédagogique. C’est la raison pour laquelle ils adoptent un modèle pédagogique de type béhavioriste dans lequel ils ont eux-mêmes évolués depuis toujours en tant qu’apprenants ou formateurs.

Le formateur dans ce type de dispositif n’a pas tellement à transmettre mais davantage à animer pour que les personnes trouvent les ressources pour réaliser leurs activités et en parlent. Le formateur devient animateur, il gère les relations sociales.

Sur la base de l’analyse de ces résultats, il nous est possible d’établir que la formation hybride facilite la mise en œuvre de l’innovation mais que la présence de modalités dites classiques reste un frein à une réflexion pédagogique totale.

Les préconisations formulées sont au nombre de quatre (outils de formalisation, formation des formateurs, rémunération, séminaire d’intégration) et se situent autour de trois dimensions : l’organisation générale du dispositif, les modalités pédagogiques à revisiter et les méthodes d’apprentissage qui pourraient tendre vers l’andragogie et la collaboration.

En conclusion, cette formation, bien qu’utilisant des outils d’enseignement distants répondants au contexte actuel, reste essentiellement une formation présentielle mise en œuvre à distance car les contraintes de temps et de lieu sont réintroduites au travers du cours diffusé sur Internet. Cette approche par hybridation correspond également à un souci d’accompagner l’innovation en assurant un ancrage par rapport aux pratiques habituelles.

Aujourd’hui, il convient d’adapter la démarche pédagogique à ce type de formation dite ouverte et à distance et non pas de « faire du neuf avec de l’ancien » (LEBRUN, 2002).

Formateurs et apprenants, très impliqués dans le dispositif, sont prêts à s’investir et à expérimenter de nouvelles voies pour parfaire le système actuel.


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(1) 22 apprenants de 2ème année, promotion 2006-2008, taux de retour des questionnaires adressés par mail : 72,7%. 16 formateurs interviennent dans le cadre de ce dispositif et neuf ont pu être interrogés dans le cadre d’un entretien non directif centré réalisé en face à face, en groupe ou par téléphone.


Bibliographie
CIUSSI M. (2007), Dynamique des liens sociaux à distance : Genèse des formes et processus observables, Congrès International AREF 2007
LEBRUN M. (2002), Des technologies pour enseigner et apprendre, De Boeck Université

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