jeudi 2 avril 2009

Aider les apprenants à collaborer. Par Jacques Rodet

Alexandre Calder. Performing seale, 1950
Le tuteur à distance est fréquemment amené à intervenir auprès de groupes d'apprenants (cf. Aider les apprenants à se constituer en équipe). Il ne lui appartient pas pour autant de jouer le rôle de chef d'équipe mais bien plus de venir en aide aux apprenants, tant de manière collective qu'individuelle, afin que les apprenants puissent atteindre leurs buts d'activités et de formation ainsi qu'une réelle autonomie de fonctionnement.

Ses interventions ont pour cadre la collaboration des apprenants dont les principales phases sont les suivantes : l'engagement des apprenants envers l'équipe, la production de l'équipe, l'évaluation de l'activité de l'équipe.

Aider les apprenants à s'engager dans l'équipe

De l'illusion groupale à la phase de maturité
Se constituer en équipe suppose que ses différents membres partagent un but commun. Pour autant, chacun peut avoir une définition et une compréhension différentes du but commun. La tâche du tuteur consiste alors à faire prendre conscience aux apprenants des pièges de l'illusion groupale, le règne du « on », phase initiale caractéristique de tout groupe restreint, où chacun projette sur les autres sa propre représentation du groupe et de ses objectifs. Or, il y a bien peu de chances que les membres d'une équipe aient exactement les mêmes conceptions du but à atteindre, du mode de fonctionnement de l'équipe, des objectifs personnels qu'ils souhaitent atteindre à travers l'activité collaborative. Si le rôle du tuteur est de permettre l'expression de chacun des membres et de déconstruire l'illusion groupale par l'expression des « je », il aura très vite à investir un rôle de médiateur afin de faire atteindre la phase de maturité de l'équipe caractérisée par l'émergence de consensus et l'expression d'un « nous » dans lesquels les apprenants se reconnaissent.

Types d'interventions tutorales pour aider les apprenants à s'engager dans l'équipe
Le tuteur peut tout d'abord suggérer aux apprenants de poser des actes fondateurs de leur équipe tels que le choix d'un nom, la mise au point d'une identité visuelle. Le recours aux activités de brainstorming est alors parfaitement adapté. Dans un deuxième temps, le tuteur peut aider les apprenants à définir leur mode de fonctionnement. Il s'agit de définir à partir des compétences des apprenants, les rôles qu'ils vont jouer au sein de l'équipe. Le mindmapping est une technique souvent appréciée et efficace pour atteindre ce but. Puis, le tuteur doit inciter les apprenants à définir les règles de fonctionnement de leur équipe. Ceci passe tant par l'identification des modalités de communication entre les membres (nature et fréquence des réunions, outils de communication à distance utilisés...) que la manière dont ils vont prendre des décisions. Ce dernier point est particulièrement important car les difficultés rencontrées par les équipes sont souvent relatives au processus décisionnel et à la légitimité que chacun des apprenants lui reconnaît. Là encore, le détour par les représentations graphiques (organigramme, work flow...) est pertinent bien qu'il doive être accompagné de la rédaction d'une charte de fonctionnement permettant aux uns et aux autres de vérifier la réalité de leur consensus sur ce point. Les interventions du tuteur sont donc davantage marquées par une aide méthodologique et ne devraient pas se substituer aux décisions et consensus de l'équipe. Il doit néanmoins vérifier que l'équipe reste bien dans le cadre de l'activité collaborative et poser ainsi le périmètre d'existence et d'autonomie de l'équipe.

Aider les apprenants à produire en équipe

De la planification à la réalisation des tâches
Tout travail collaboratif nécessite une projection dans le futur. Le planning est l'outil fédérateur des activités concrètes de l'équipe. Si le planning gagne à être co-construit et négocié par les apprenants, le tuteur peut avoir un certain nombre d'interventions à réaliser pour faire prendre conscience aux apprenants de son utilité (cf. Aider les apprenants à planifier leur apprentissage). La détermination commune du planning n'élimine pas pour autant la nécessité d'un garant ou d'un responsable qui est chargé de vérifier et d'informer chacun des membres de l'avancée des tâches, des écarts constatés entre la planification et la réalité, des régulations et aménagements opérés. Ce responsable du planning ne doit pas être le tuteur lui-même, sous peine de voir l'équipe perdre en responsabilité et en autonomie, mais être issu de l'équipe elle-même. L'apprenant qui est en charge du planning se voit de fait doter d'un leadership qui nécessite son acceptation par les autres apprenants. Le tuteur peut alors aider ce responsable a prendre conscience des différentes manières d'exercer son leadership (autoritaire, directif, démocratique, autogestionnaire, non directif, laisser faire) et des conséquences pour l'ensemble de l'équipe.

Le planning étant défini, chacun des apprenants se voit affecté un certain nombre de tâches à réaliser. Celles-ci sont directement liées au chemin choisi par l'équipe pour atteindre son but. Sur ce point les interventions du tuteur sont essentiellement de deux ordres : évaluer le processus et la cohérence des tâches sans oublier leur enchaînement (chemin critique du planning) ; aider chaque apprenant à réaliser son travail.

Types d'interventions tutorales pour aider les apprenants à produire en équipe
La production en équipe est conditionnée par la capacité de production de chacun des membres. Ceux-ci, en particulier dans un fonctionnement coopératif basé sur la spécialisation et la répartition des tâches, peuvent éprouver des besoins d'aide particuliers. Tel apprenant chargé de réaliser une analyse aura besoin d'un support méthodologique pour définir sa grille d'analyse ; tel autre sollicitera des conseils sur l'utilisation d'un logiciel adapté à la réalisation d'un montage vidéo ; un autre proche de l'abandon nécessitera un soutien l'amenant à persévérer ; etc. Ainsi, le tuteur est amené, pour chacun des apprenants et en fonction de ses besoins propres à investir les différents plans de support à l'apprentissage (cognitif, socio-affectif, motivationnel et métacognitif). La variété des situations interdit de donner la préférence à un type ou une modalité d'intervention particuliers mais oblige le tuteur à les penser de manière rigoureuse.

Le tuteur doit également être attentif aux processus de communication au sein de l'équipe et ne pas hésiter à les faire formaliser par les apprenants. Une réunion d'équipe, par exemple, doit non seulement faire l'objet d'un ordre du jour mais également d'une animation par l'un des apprenants et d'un compte-rendu. Les outils de communication doivent être accessibles à chacun des apprenants sous peine de constater que les messages ne sont pas exploités par tous...

Par ailleurs, le tuteur interviendra également comme facilitateur pour l'équipe en particulier lorsque celle-ci doit surmonter un conflit interne. Il peut dans ce cas recourir aux techniques de médiation et de négociation qui feront l'objet d'un prochain billet.

Aider les apprenants à évaluer les activités de leur équipe

L'autoévaluation d'une équipe est non seulement souhaitable mais nécessaire puisque sont en jeu l'autonomie de celle-ci et le développement de sa capacité à piloter ses activités. Cette autoévaluation devrait porter en particulier sur le fonctionnement de l'équipe et la cohésion entre ses membres ainsi que, de manière plus classique, sur les résultats qu'elle obtient : sa productivité tant qualitative que quantitative.

Cohésion et productivité

La cohésion renvoie aux comportements positifs et négatifs des membres de l'équipe manifestés tout au long de la réalisation de l'activité collaborative. L'équipe fonctionne-t-elle de manière harmonieuse ? Les relations établies sont-elles cordiales ? Est-ce que des phénomènes d'entraide émergent entre les apprenants ? Font-ils preuve de solidarité les uns envers les autres ? Les règles de fonctionnement sont-elles appliquées ? Le processus de décision choisi est-il accepté par chacun ? Etc.

La productivité est liée à la réalisation des tâches et à l'atteinte des objectifs. Chacun s'acquitte-t-il de manière satisfaisante de ses tâches ? Le planning est-il respecté ou aménagé de manière efficace ? Les décisions sont-elles appliquées sans délai ? Les objectifs sont-ils correctement dimensionnés et sont-ils atteints ? Etc.

Types d'interventions tutorales pour aider les apprenants à évaluer la cohésion et la productivité de leur équipe
Le tuteur doit amener les apprenants à se poser les questions ci-dessus, bien d'autres également, et les aider à y répondre. Il peut intervenir lors de réunions de régulation avec l'équipe, en présentiel ou à distance. Il peut également formaliser des activités permettant aux apprenants de prendre conscience de leur niveau de cohésion et de productivité. A cet égard, France Henri et Karen Lundgren-Cayrol en donnent quelques exemples dans leur article « Apprentissage collaboratif et nouvelles technologies » (cf. annexe A).

Les interventions tutorales pour aider les apprenants à collaborer sont ainsi fort diverses et marquées par les différentes phases de la collaboration. De l'engagement à la production et à l'évaluation de celle-ci, le tuteur doit garder à l'esprit que ses actions ne doivent pas avoir pour objet de faire à la place des apprenants mais de les aider à réaliser leurs tâches et atteindre leurs objectifs en faisant vivre leur collaboration.


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