dimanche 15 février 2015

Indices de gravité et de probabilité pour une étude de criticité en ingénierie tutorale

Pour produire le premier livrable de l'ingénierie tutorale, plusieurs actions sont nécessaires : i) recueillir et analyser des données sur les représentations des besoins de soutien des apprenants tant du point de vue de l'institution, de l'équipe pédagogique dont les tuteurs, que des apprenants. Il est également utile de convoquer la littérature sur le tutorat à distance qui traite de ces besoins de soutien ; ii) prioriser les besoins de soutien afin d'identifier ceux feront effectivement l'objet d'interventions tutorales ; iii) définir les profils de tuteurs qui réaliseront ces interventions tutorales. 

L'étude de criticité est une des méthodes permettant de prioriser les besoins de soutien (cf.  Prioriser les besoins de soutien des apprenants à distance pour déterminer ceux qui doivent faire l'objet de réponses tutorales) et ma communication à ADUTICE).

La criticité est une notion qui nous vient de la prévention des risques. Elle permet d'estimer la criticité d'un risque à partir de sa gravité et de sa probabilité. Dans certains contextes, comme les risques naturels ou l'analyse des modes de défaillance industrielle, un troisième critère, la capacité du système de veille à détecter un risque potentiel, est pris en compte.

Dans le cadre de l'ingénierie tutorale, ce dernier critère n’est pas retenu dans la mesure où d'une part, l'analyse des représentations des besoins d'aide vise justement à établir une liste stabilisée de ces besoins pour un contexte donné, et que, d'autre part, l'exhaustivité n'est pas atteignable dès lors que l'on traite de comportements humains.

Ici, l’étude de criticité a pour but de qualifier le risque pour les apprenants d'une non réponse tutorale à un besoin de soutien identifié. L'étude de criticité permet donc de hiérarchiser les besoins en fonction des risques encourus par les apprenants et par là de prioriser les réponses tutorales, de distinguer celles qui sont indispensables de celles qui sont souhaitables et de celles qui sont accessoires. S'il y a un risque à forte criticité à ne pas répondre à tel ou tel besoin (en rouge dans le schéma ci-dessous), alors il est indispensable d'apporter une réponse tutorale. Si au contraire la criticité est faible (en gris), il est acceptable de ne pas apporter de réponse tutorale. Si la criticité est moyenne (en orange) la décision de mettre en place une réponse tutorale dépendra des contraintes contextuelles qui seront à qualifier (cf. le tableau des contraintes). L'étude de criticité sert donc à passer d'un système tutoral idéal à un système tutoral adapté ou plus réaliste.

Le taux de criticité est le produit de l’indice de gravité du risque par l’indice de probabilité du risque 

Criticité = Gravité x Probabilité


Afin de tendre vers l'objectivation de la criticité d'un risque encouru par les apprenants en cas de non réponse tutorale, il est nécessaire de préciser les indices de gravité et de probabilité. Si la détermination de ces indices par la personne qui effectue l'étude de criticité ne peut prétendre à une pleine objectivité, elle permet néanmoins d'éliminer l'arbitraire du choix.

Exemple de qualification des indices de gravité du risque

Qu’est-ce qu’un risque grave ? Comment distinguer un risque grave d'un risque très grave ? Voici un exemple de qualification d’indices de gravité :

  • 1 : Peu grave : le dommage est sans conséquence sur les apprenants et leur apprentissage
  • 2 : Grave : le dommage ne provoque pas de rupture de l’apprentissage mais à des conséquences sur les apprenants
  • 3 : Très grave : Le dommage entraîne une rupture temporaire de l’apprentissage mais ceci est réversible par la mise en oeuvre d'actions réparatrices auprès des apprenants.
  • 4 : Fatale : Le dommage est irréversible et entraine l’abandon de leur formation par les apprenants

Exemple de qualification des indices de probabilité du risque

  • 1 : Peu probable : la littérature ne traite pas de ce risque et/ou l’expérience montre qu’il concerne un très faible pourcentage d’apprenants (moins de 10%)
  • 2 : Probable : le risque est repéré dans la littérature et/ou l’expérience montre qu’il concerne un nombre significatif d’apprenants (de 10 à 35%)
  • 3 : Fort probable : le risque est traité par la littérature qui indique des pistes de solutions et/ou l’expérience montre qu’il concerne un nombre élevé d’apprenants (de 35 à 65%).
  • 4 : Certaine : le risque fait l’objet d’un traitement répété et approfondi par la littérature et/ou l’expérience montre qu’il concerne la plupart des apprenants (plus de 65%)

mercredi 4 février 2015

Le manque de temps des apprenants à distance

S’il est un invariant en formation à distance, c’est bien la difficulté des apprenants à trouver le temps de réaliser les différentes activités qui leur sont demandées.

Certes, les concepteurs sont souvent ambitieux et ne mesurent pas toujours très exactement le temps d’étude et de production que demandent les modules qu’ils mettent à disposition des apprenants.

Toutefois, il faut remarquer aussi que de très nombreux apprenants éprouvent de réelles difficultés à organiser de manière rationnelle et déterminée leurs temps d’apprentissage. Les difficultés sont de divers ordres. Difficulté à dégager les plages horaires pour le travail individuel et les tâches collaboratives. Difficulté à maintenir la formation comme une priorité par rapport à leurs autres occupations. Tentation de faire du temps d’apprentissage une variable d’ajustement vis-à-vis de la fluctuation de leurs activités professionnelles…

Il est remarquable que si les apprenants se plaignent de ne pas avoir assez de temps, ils ne vont que très rarement jusqu’à quantifier le temps dont ils manquent. Sans cette quantification, il leur est impossible d’objectiver le manque qu’ils ressentent d’abord affectivement et qui a des conséquences fortes sur leur niveau de motivation. Une fois qu’ils éprouvent le sentiment d’être débordés et de ne pas avoir les moyens de s’en sortir, la procrastination vient immanquablement empirer la situation. Des solutions peuvent alors être mise en place par l’institution. J’ai déjà largement exploré celles-ci précédemment et je renvoie à la lecture des volumes des Fragments du Blog de t@d (cf. volume 5 et volume 6).   

Je veux, ici, donner quelques pistes de solutions que les apprenants peuvent mettre eux-mêmes en place. Tout d’abord, ils doivent dans une démarche autoréflexive prendre conscience qu’ils ne pourront se former que s’ils consacrent du temps à leur formation. En effet, il est fréquent de constater que les apprenants qui se plaignent de ne pas avoir assez de temps pour leur formation, ne leur en consacre que très peu. Il leur faut aussi agir en direction de leur hiérarchie qui trop souvent ne dégage pas le temps nécessaire à leur formation tout en leur demandant de la réaliser. La même question peut se poser avec l’environnement familial. Par exemple, il est assez illusoire de vouloir réaliser un master en un an tout en continuant son activité professionnelle sans être prêt à réorganiser ses temps familiaux et de loisirs. Il leur faut également préférer l’action à la réaction, ce qui suppose qu’ils planifient rigoureusement, mais non de manière volontariste, leurs temps d’apprentissage. Le refus de planifier est directement en lien avec le sentiment de ne non maîtrise du temps. Or, c’est bien la planification qui autorise le pilotage de son parcours de formation. Les apprenants peuvent, parfois, intégrer certaines tâches de formation dans leur agenda professionnel. C’est notamment le cas des formations à distance à vocation de perfectionnement professionnel. Ils ne devraient donc pas s'en priver. Pour gérer plus facilement les temps de travail collaboratif, il est important dans une première étape d’identifier les plages temporelles communes aux participants puis de fixer une régularité des rencontres de coordination, de médiations, de prise de décision. De même, il est hautement souhaitable d’avoir au sein du groupe collaboratif, une gestionnaire du temps qui tiendra le planning, le régulera, rappellera les échéances, relancera les participants…

Ces quelques pistes n'épuisent pas le sujet mais pointent le fait que le manque de temps ressenti par les apprenants n'est pas une fatalité qui s'impose à eux uniquement de l'extérieur mais qu'ils peuvent prendre les moyens de mettre en place des solutions viables pour eux. Il est certain que c'est en maîtrisant de manière délibérée leur temps de formation que les participants d'une FOAD seront le plus à même de développer leur autonomie d'apprenants. 

Pour ceux qui souhaitent approfondir de manière plus savante cette question du temps, signalons les travaux de Jean-Paul Moiraud, entre autres ce billet intitulé « Temps et espace »  ainsi que ceux de Margarida Romero, par exemple sa conférence intitulée « Les temps du tutorat à distance ».